Introduction de Res publica europae
(Pour une Quatrième Théorie Politique européenne)
Depuis presque trois cent ans, prenant naissance en Europe puis s'épanchant dans le reste du monde comme s’il s’était agi d'épidémies qui peu à peu avaient infecté et détruit les vieilles harmonies humaines, trois idéologies issues d'un même socle que l'on appelle la pensée moderne avaient entrepris de s'affronter, en quête d'hégémonie et d’absolu, au fur et à mesure de leur apparition sur la scène politique : le libéralisme, le communisme et le fascisme, avec l’ensemble de leur variantes1. Toutes trois ont participé, à leur niveau, à l'élan consistant à vouloir, et sans doute aussi à devoir, dépasser la vieille Europe d'Ancien Régime dont l'archaïsme ne pouvait apparemment plus s'harmoniser avec les pensées nouvelles écloses lors du siècle des Lumières. Cette expérimentation scientiste qui a engendré ce l'on nomme aujourd'hui la « civilisation occidentale », ou simplement l'Occident, s'est avérée, par le biais de son cerbère idéologique tricéphale, être principalement une réaction de la raison déconnectée de la réalité, et par conséquent sur-appréciée, à l'encontre de la pensée traditionnelle. Raison et Tradition ne peuvent plus s'apprécier justement et mutuellement lorsque l'une d'elles tend à étendre indéfiniment son emprise. Cette volonté, dictée par une raison viciée et nihiliste, de soumettre l'entendement sous le fatras de ses propres intérêts « religieux » ‒ tant elle s'exerce désespérément à nous relier à des fondements philosophiques liés à une matérialité fort mal interprétée ‒ s'est d'abord et avant tout affairée à couper la Culture2 européenne de ses racines qui alimentaient son âme et son être depuis des lustres. L'Europe s'est alors transformée en un « Occident » qui s'est soumis corps et âme aux règnes de l'abstraction et du non-sens, ne pouvant plus par conséquent suggérer à l'esprit inquiet de l'homme européen – surtout de celui qui, comme nous, a été bercé au rythme de vieilles traditions côtières ‒ que l'image d'un vieux rafiot qui tangue périlleusement au gré des versatilités des impératifs « techniciens » et de leur partenariat idéologique, ainsi que des désillusions qui ne manquent jamais de les accompagner au long cours de leur marche forcée.
Alors que la pensée traditionnelle avait une vision holiste du Monde dont l'homme ne saurait s'extraire idéalement et contradictoirement sans prendre le risque de chuter dans le néant de la non-existence, l'Europe moderne, sur la voie de son déclin, n'a eu de cesse de provoquer une césure entre deux entités fictives qu'elle avait imaginées : le Sujet et l'Objet, soit un Sujet mythique face à l'objet de sa passion captative, et de son hybris, ou encore un Sujet face à l'existant devenant Objet de ses aliénations théoriciennes. De ces deux-ci l'un pris donc le pas sur l'autre puisqu'il fallait qu'il en fut ainsi selon une vanité bourgeoise et une certaine vision marchande pour lesquelles n'est digne d'intérêt que ce que l'on peut être à même de posséder et manipuler. Et ainsi, le Sujet – fut-il individu, classe, ou nation réduite à un État hégémonique, ou encore comme aujourd'hui pseudo-communauté dite « minorité » cachant mal à elle-même son désir pervers d'homogénéité et de négation absolue de l'Autre ‒ put en vertu de son principe d'appropriation s'efforcer de prendre possession d'un monde qu'il n'eut de cesse de vouloir dominer… et corrompre. Le monde bourgeois de la modernité finissante devait inévitablement déstructurer et « atomiser » non seulement les empires, selon le sens traditionnel de ce terme, mais également les entrelacs sociaux qu’étaient les mondes traditionnels en séparant, isolant, ou annihilant sans relâche leurs composantes organiques. Et tout cela s’est réalisé corrélativement avec la création de l'Individu, du Prolétariat, de l'État-Nation, en vue de leur hégémonie respective selon l'impératif de la tendance idéologique correspondante, en un temps et un lieu donné....
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1Trois idéologies qui, d'une façon ou d'une autre, déprécient l’altérité (distinguant les hommes, les classes et les nations) en dépréciant par là-même, et ce de façon perverse, la valeur réelle de l'Autre, de celui qui ne peut se réduire à l'idéal-type qui, seul selon elles, peut-être à même de déterminer l’ « homme nouveau » (l'individu de la réussite sociale, de la classe prolétarienne, du peuple « élu » ou de la « race supérieure »). Elles sont ainsi porteuses d'un égalitarisme de masse qui, en fonction de chacune d’elles, opère au travers d’une dynamique matérialiste tout en rejetant cruellement à la marge ceux qui ne méritent même pas de « bénéficier » de cette « égalité » exclusive.
2« Impérialisme est civilisation pure. Le destin d'Occident est dans ce phénomène irrévocable. L'homme cultivé a son énergie dirigée en dedans, le civilisé en dehors. » Oswald Spengler, Le déclin de l'Occident, 1918. Notre réussite à venir dépendra, en somme, de la force par laquelle nous serons parvenus à redonner vie et grandeur à notre Culture originelle.