Noël-Jul : la lumière reviendra
Par Robert de Herte
(In Alain de Benoist, Les Traditions d’Europe, Le Labyrinthe, 1996, G/T 13 – aout-sept.-oct.-nov.-décembre 1977, pp. 2-3)
Comme chacun le sait, la fête de Noël (Jul) correspond aux anciennes festivités indo-européennes du solstice d’hiver. Le mythologue Marc de Smedt le rappelait récemment, après bien d’autres : « Noël n’est qu’une ‘adaptation’ à la nouvelle religion (chrétienne) des fêtes que les Anciens et les Barbares célébraient lors du solstice d’hiver – et il en est de même pour toutes les fêtes chrétiennes, bien que l’Église l’ait très longtemps nié » (Le Nouvel Observateur, 23 décembre 1974). C’est ainsi que la fête de l’annonce à Marie, le 25 mars, soit neuf mois avant Noël (= période de gestation), était célébrée à Rome bien avant le christianisme : c’était le fête de l’annonce à Cybèle. Après beaucoup d’hésitations, l’Église s’est décidée à fixer la date de la naissance supposée du Christ au 25 décembre afin de la faire coïncider avec un rite plus ancien : la première mention latine de cette date comme fête de la Nativité remonte à l’an 354, la célébration proprement dite n’étant apparue qu’à la fin du IVème siècle.
Comme en bien d’autres occasions, l’Église, après avoir cherché à détruire, a fini par composer. Au départ, son hostilité ne fait pas de doute. N’est-il pas écrit dans le Deutéronome : « Quiconque aura honoré le soleil ou la lune, ou un être dans les cieux, devra être lapidé jusqu’à ce que mort s’ensuive » (XVII, 2-5) ? Le psychiatre Ernst Jones a été jusqu’à écrire : « On pourrait se demander si le christianisme aurait survécu s’il n’avait pas institué la fête de Noël avec tout ce qu’elle signifie » (Psychanalyse, folklore et religion, Payot).
Aujourd’hui, René Laurentin reconnaît que « cette naissance de Jésus, dont les évangiles ne nous disent pas la date, l’Église l’a située au solstice d’hiver » (Le Figaro, 26-27 novembre 1977). Il ajoute : « Le symbole cosmique du solstice d’hiver popularise et vulgarise à la fois la fête de Noël parmi nous » (ibid.).
Marc de Smedt explique : « Ce n’est pas par hasard que, la date de la naissance de Jésus restant inconnue, un concile décida de fêter néanmoins l’anniversaire de cette nativité le jour du 25 décembre, jour du solstice d’hiver, qui ouvre la phase ascendante et lumineuse du cycle annuel. Partout, on allumait alors des feux en signe de joie. Saint Augustin et l’Église démentirent, bien sûr, ces origines païennes, mais il n’en reste pas moins que le 25 décembre était l’anniversaire des dieux soleil (…) Jésus naît la nuit, il vainc l’obscurité, cette vieille angoisse de l’homme, et symbolise la victoire périodique de la lumière fraternelle qui va aider au renouveau de la vie et à l’éclosion cyclique de la nature porteuse de fruits… La réanimation de la lumière équivaut à un renouvellement du monde. La partie du solstice d’hiver ouvre un cycle : dans la tradition hindoue, c’est le début de la deva-yâna, la voie des dieux, par opposition à la pitri-yâna du solstice d’été, qui figurait le commencement de la voie des ancêtres » (Le Nouvel Observateur, art. Cit.).
À Rome, bien avant la célébration de Sol Invictus, le solstice est dénommé bruma, breuissima (dies), journée qui correspond au 21 décembre. On a également recours à une autre racine, qui a donné le mot angor. « Il est de bon latin, à toute époque, de noter par augustiae un espace de temps ressenti comme trop bref, fâcheusement ou douloureusement bref, et Macrobe ne manque pas de l’employer et de le répéter quand il dramatise ce tournant de l’année » (Georges Dumézil, La religion romaine archaïque, Payot, 1966). Ovide écrit : « Le solstice d’été n’abrège pas mes nuits, et le solstice d’hiver ne me rend pas les jours augustos » (Tr. 5, 10, 7-8). La religion ressent ces augustos dies solsticiaux : une déesse et un culte en assurent le franchissement. Cette déesse du solstice, c’est Diua Angerona, dont les festivités (dénommées Diulia ou Angeronalia) se déroulent le 21 décembre. Ce jour-là, les pontifes offrent en sacrifice in curia Acculeia ou in sacello Volupiae, proche de la porte Romanula, une des portes intérieures de Rome, sur le front nord du Palatin. Dans cette chapelle se trouve une statue de la déesse, avec la bouche bandée et scellée ; elle a un doigt posé sur les lèvres pour commander le silence. Pourquoi cette attitude ? Georges Dumézil explique, en se référent à d’autres mythes indo-européens : « Une des intentions du silence, dans l’Inde et ailleurs, est de concentrer la pensée, la volonté, la parole intérieure, et d’obtenir par cette concentration une efficacité magique que n’a pas la parole prononcée ; et les mythologie mettent volontiers cette puissance au service du soleil menacé » (op. cit., p. 331).
En ce qui concerne les Germains, l’historien grec Procope (IVème siècle) dit qu’au cœur de l’hiver, les « hommes des pays du nord » envoient des messagers au sommet des montagnes pour guetter le retour du soleil, lequel est annoncé par des feux ou des roues enflammées auxquelles on fait dévaler les pentes. De son côté, Tacite (55-120) raconte dans ses Annales que les Germains célèbrent le solstice d’hiver par des festivités et des festins.
Il fait noter ici que le solstice d’hiver est un simulacre du Ragnarök : la fin de l’année est la « représentation » cyclique de la fin du monde (qui clôt elle-même un grand cycle du temps). C’est pourquoi dans l’Edda, l’époque du « crépuscule des dieux », durant laquelle le soleil – comme Odhinn lui-même – est avalé par le loup Fenrir (ou par un fils de Fenrir), est appelé Fimbulvetr, c’est-à-dire le Grand Hiver. C’est pourquoi également le dieu qui permet la renaissance du monde, Vidarr, et qui parvient à terrasser Fenrir (Völuspa, 55) – grâce à quoi le soleil est remplacé par sa fille, c’est-à-dire par un nouveau soleil (dans les langues germaniques, le mot « soleil » est du genre féminin) -, est défini comme l’« Ase silencieux ». L’analogie entre l’action de Vidarr, qui implique le silence, et celle de la déesse romaine du solstice, Angerona, dont l’attitude commande aussi le silence, saute aux yeux. Le silence est nécessaire à Noël pour que le dieu/la déesse sauve le soleil du péril et de la mort.
À cet égard, le passage essentiel de l’Edda se trouve dans le chant de Wafthrudnir, au moment où, à la question de Gôngrôder, « d’où viendra le nouveau soleil dans le ciel uni, lorsque le loup aura avalé celui que nous voyons ? », le sage Wafthrudnir (Wafthrunder) répond : « Le soleil, avant d’être anéanti par le loup, donnera le jour à une fille ; quand les dieux disparaîtront, elle suivra la même route que sa mère ». On notera par ailleurs que dans la mythologie germanique, le loup est constamment attesté comme le symbole de l’hiver – et qu’en Allemagne du sud, l’ancien nom du mois de décembre (Julmond ou Julmonat) est attesté, lui aussi, en Wolfsmond = « moins su loup ».